Une étude passée au crible
Touche pas à la publicité personnalisée
L’étude part d’un postulat a priori surprenant (une menace d’interdiction de la publicité personnalisée) et son commanditaire (le think-tank The Good advertising project) ne cache pas qu’il s’agit d’un outil de lobbying, mais cette enquête d’Oliver Wyman a le mérite de faire toute la lumière sur ce segment de marché en plein développement, en présentant ses principaux acteurs et ce qu’il représente d’un point de vue économique. Logiquement, ses conclusions sont sans appel : « la fin de toute forme de publicité personnalisée serait néfaste pour l’ensemble de la chaîne de valeur de la publicité digitale, pour l’économie française et européenne, et pour certains droits fondamentaux des citoyens », assure l’auteur de l’étude, Maité Dailleau, partner chez Oliver Wyman (sur les practices communication, médias et technologie).
La personnalisation est un moteur de croissance pour les annonceurs et les médias
Comme le rappelle Loic Rivière, le directeur de The Good advertising project, cette étude avait pour but de déterminer « en quoi la publicité personnalisée apporte une valeur supplémentaire par rapport à la publicité classique ou contextuelle ». Et le résultat est là : « elle offre de meilleures performances et profite à l’ensemble des acteurs de l’écosystème ». Exemple, 70% des Français souhaitent des publicités adaptées à leurs centres d’intérêt, et 92% affirment ne pas être prêts à payer pour des services auxquels ils accèdent aujourd’hui gratuitement. Les annonceurs, surtout les PME françaises qui constituent 96% du tissu du marketing digital, s’appuient sur la personnalisation pour atteindre efficacement leur public à moindre coût : 89% d’entre elles y ont recours dans leurs campagnes publicitaires tandis, et 80% déclarent que la croissance de leurs revenus sur l’année précédente peut être directement expliquée par l’utilisation de publicités personnalisées.
Même satisfecit côté médias. « La publicité personnalisée leur a permis d’opérer leur transformation digitale et leur assure des revenus pour financer une information gratuite et de qualité, via notamment le modèle visant à consentir à l’utilisation des données à caractère personnel ou payer pour un service », renchérit Maité Dailleau.
Une interdiction serait catastrophique pour tous les acteurs du marché
Dans le cadre du scénario d’interdiction totale de la publicité personnalisée, les modélisations d’Oliver Wyman tendent à démontrer jusqu’à 45% de perte d’efficacité publicitaire pour les annonceurs à budget constant, mais aussi une baisse de 30 à 45% des revenus publicitaires digitaux pour les médias traditionnels (à cause d’une dégradation de la valeur des inventaires et d’un recul de l’expérience utilisateurs), et de 20 à 35% pour les plateformes et réseaux sociaux, à travers une remise en question de la proposition de valeur vis-à-vis des annonceurs, notamment pour les petits annonceurs qui investissent sur les réseaux sociaux pour cette capacité de ciblage fine. Par effet domino, cela créerait un risque sur l’emploi : « 25 à 45% des postes seraient menacés dans la filière adtech française, dont la baisse des revenus est estimée entre 35% et 55% », poursuit-elle. « La publicité personnalisée constitue aujourd’hui une pierre angulaire du financement de l’information gratuite, du soutien à la compétitivité des entreprises et de la transformation digitale, ajoute Loic Rivière. Son interdiction, même partielle, entraînerait des pertes économiques majeures, une dégradation de l’expérience utilisateur et un risque accru de concentration du marché. Elle fragiliserait un écosystème déjà sous pression, sans garantir une meilleure protection des utilisateurs. L’enjeu est désormais de trouver un équilibre entre protection des données, innovation technologique et équité économique avec une approche proportionnée, fondée sur l’innovation responsable, plutôt que sur l’interdiction généralisée ».
Didier Falcand