Une stratégie passée au crible
La rentrée de France télé sous le signe de la responsabilité
Une semaine après la présentation des grilles de rentrée du groupe TF1, un événement à la fois très festif et placé sous le signe de la passion et de l’innovation, le contraste était saisissant avec le même exercice de France télévisions qui s’est livré, le 8 juillet, à une présentation plus solennelle, plus grave. Sa présidente, Delphine Ernotte Cunci, a évoqué « la responsabilité » de l’audiovisuel public dans une période difficile et son ambition de « contribuer à la réconciliation du pays ». De son côté, Stéphane Sitbon Gomez, directeur des antennes et des programmes, n’a pas caché que certains choix de grilles relevaient de la nécessité de faire des économies et de l’austérité budgétaire. Explications.
Un devoir de responsabilité
« Nous avons conscience, à France télévisions, de notre responsabilité. Elle est de porter sur nos écrans quelques-unes des grandes valeurs qui fondent nos sociétés européennes : le choix de la démocratie, qui se nourrit de la voix de toutes les opinions, la croyance dans notre capacité à vivre ensemble et la foi dans la science, la liberté d’informer et de créer en toutes circonstances ». A l’heure où l’audiovisuel public connaît un recul dans de nombreux pays, Delphine Ernotte Cunci n’a pas hésité, à l’orée de troisième mandat, à tirer la sonnette d’alarme. « Nous devons être à la hauteur de la situation de « polycrise » qui s’impose à nous. Mieux, nous devons, à notre échelle, apporter des solutions pour contribuer à la réconciliation du pays ». On a connu, dans le passé, des rentrées plus festives…
Cette volonté se traduit dans tous les programmes : le sport avec les droits des prochains jeux d’hiver et d’été ou le renouvellement des droits de Roland Garros et du tour de France ; l’information avec un nouveau JT « encore plus rassembleur » et de nouvelles émissions politiques (confiées à Carlone Roux) qui doivent permettre aux Français de mieux décrypter programmes et candidats ; la culture avec des documentaires et des émissions chargées « d’entretenir la mémoire collective de la France » (Notre histoire de France, Mission patrimoine, la commémoration des attentats de 2015, l’accompagnement de l’arrivée de Robert Badinter au Panthéon, une émission pour lutter contre l’illétrisme…) ; les fictions sociétales, ou la nouvelle émission de Flavie Flament (En France, sur le réseau Ici) où elle mettra au quotidien en lumière les Français, leurs histoires et leurs initiatives, en partant à la rencontre, partout en France, de ceux qui font vivre le pays. Une volonté que traduit la signature du groupe : « liberté, égalité, France.tv » (à la place de fraternité.
Un contexte budgétaire contraint
La préparation de la grille 2025-2026 a aussi été réalisée dans le cadre d’une austérité budgétaire subie. « Nous traversons des eaux troubles où les deniers viennent à manquer », rappelle Delphine Ernotte Cunci, qui promet malgré tout que « les moyens de l’information et de la rédaction seront préservés. Il faut parfois faire un peu d’efforts mais ma philosophie est claire : c’est en préservant le périmètre et les moyens de l’information que le service public est plus grand. Cela fait dix ans que je suis ici et je sais que beaucoup auraient aimé que je rogne ou que je réduise sur ces missions. Je ne l’ai jamais fait et je ne le ferai jamais ». Les économies doivent donc être réalisées ailleurs, comme dans les programmes de flux, où les producteurs ont été priés de réduire de 5% tous leurs tarifs, ce qui a permis de réduire de 15 millions d’euros (sur un budget de 350 millions) la facture pour la période septembre-décembre 2025.
Mais cela ne sera pas suffisant pour assurer l’équilibre financier de France télévisions auquel tenait Delphine Ernotte Cunci depuis son arrivée il y a dix ans. « On ne sera pas à l’équilibre cette année », reconnaît-elle, en espérant limiter la perte à 50 millions d’euros. « On n’est pas très bien, la trésorerie est fragile et je n’ai aucune indication, à ce jour, sur le budget 2026 ».
Une évolution du projet de loi qui ne la satisfait pas
Interrogée sur le projet de réforme de l’audiovisuel public, rejeté à l’Assemblée nationale et de retour au Sénat, elle n’a pas non plus mâché ses mots. Si elle soutient le projet de holding commun pour l’audiovisuel public, porté par la ministre de la Culture, elle ne veut pas que cela se limite à la nomination d’un seul président, elle milite « pour une BBC à la française, c’est-à-dire une entreprise unique, pas une collection de filiales, avec des missions claires, une unité de moyens, pas un meccano quel qu’il soit ». En revanche, elle se prononce contre un directeur de l’information unique, tel que suggéré dans le rapport de Laurence Bloch, remis récemment à Rachida Dati. Les mois qui s’annoncent risquent d’être difficiles pour elle.
Didier Falcand