L’événement
Les trois grands défis de la presse magazine
C’est le trimestriel l’Eléphant qui a remporté, le 3 juin, le prix du magazine de l’année remis par le SEPM (Syndicat des éditeurs de presse magazine) et Lagardère travel retail, qui a pour but de mettre à l’honneur l’excellence éditoriale de la presse magazine française, de valoriser les formats, la créativité journalistique et la capacité d’innovation du secteur. « Dans un monde qui court, nous, on s’assoit, souligne François Claverie, le président du SEPM. Dans un univers de zapping, nous, on approfondit. Quand le standard, c’est d’enfermer la pensée dans quelques dizaines de caractères, nous, on fait encore des phrases complètes, avec de vrais textes, du récit, des photos. Nous sommes les derniers à prendre le temps. Cette singularité, c’est notre force ». Mais tout n’est pas rose pour autant pour la presse magazine, car les fondamentaux (la diffusion et la publicité) de ses modèles économiques sont sérieusement chahutés. Explications.
L’enjeu du financement de la production d’information
Pour François Claverie, les éditeurs sont confrontés à trois défis de taille. Le premier est de « maintenir le lien primordial avec nos lecteurs », ce qui passe bien sûr par un réseau de distribution fort sur tout le territoire, par l’acheminement des publications dans les meilleures conditions de délais et de prix et, surtout, « par notre capacité à convaincre nos lecteurs de la valeur ajoutée de notre travail, tout en nous adaptant à l’évolution de leurs usages ». Le second défi, et non des moindres, est d’assurer le financement de la production d’information. « Parce qu’enquêter, envoyer des reporters sur le terrain, construire un matériel éditorial intelligent, ça coûte bien plus cher qu’un selfie Instagram, rappelle-t-il. Nous devons convaincre les annonceurs de nos atouts, faire respecter nos droits voisins, accordés il y a six ans et souvent bafoués, et créer un cadre juridique qui protège la valeur de notre travail face à l’IA générative qui nous emprunte nos contenus avec la délicatesse d’un aspirateur ». Enfin, le troisième défi consiste selon lui « à défendre la liberté de la presse pour que nos journalistes puissent travailler sur tout, partout, sans pression, ni menace de quelque nature que ce soit ».
L’Eléphant, magazine de l’année pour le SEPM et Lagardère travel retail
A sa façon, l’Eléphant illustre parfaitement ce qu’est la presse magazine, puisque ce trimestriel, positionné sur la culture générale, est une revue qui privilégie le fond, avec des enquêtes et des dossiers, mais aussi la forme par une direction artistique léchée. « L’Eléphant a un positionnement inédit avec un traitement pluridisciplinaire et complet de l’actualité qui réussit la prouesse d’amener le lecteur à prendre le temps, a estimé le jury. C’est un magazine qui fait du bien ». « Ce prix est une vraie reconnaissance pour tout ce que faisons depuis 12 ans et demi, ajoute son fondateur, Jean-Paul Arif. C’est une belle histoire qui dure, alors que ce n’était pas gagné d’imposer une revue de culture générale ». Avec une diffusion d’un peu plus de 30 000 exemplaires, dont un quart d’abonnés, la vente au numéro joue un rôle important dans le modèle économique, « c’est pourquoi le soutien et la reconnaissance d’un réseau comme Relay sont essentiels pour nous », insiste Guénaëlle le Solleu, la rédactrice en chef de l’Eléphant. En remportant ce prix, le journal va d’ailleurs bénéficier d’un grand dispositif de promotion au sein de Relay, via une mise en avant, du 16 au 30 juin, dans 300 points de vente du réseau, dont 200 via des présentoirs dédiés.
Les autres lauréats
Outre l’Eléphant, neuf autres magazines figurent au palmarès de l’année. Un an après sa création, Vieux décroche par exemple le prix du lancement grâce à « son ton décalé et drôle, souligne le jury, et un positionnement original qui parvient à nous convaincre que c’est cool d’être vieux ». Du côté des grandes enquêtes, c’est la Croix l’hebdo qui l’emporte pour son dossier « Rwanda, l’énigme Agathe H, accusée de génocide », distingué pour sa profondeur et sa narration bouleversante. « Il existe encore des éditeurs qui accordent du temps et de la place à de tels sujets, se réjouit Laurent Larcher, l’auteur de l’enquête, qui suit le dossier depuis les années 90. C’est encourageant dans un monde où une actualité est vite remplacée par une autre ».
Les autres lauréats sont Marie Claire pour un numéro spécial sur la santé mentale des femmes, abordant un sujet encore trop souvent tabou avec une grande rigueur journalistique ; l’Histoire collection pour un hors-série sur les Palestiniens, considéré par le jury comme une référence pour comprendre l’un des conflits les plus complexes du monde contemporain ; ou encore Détours en France (magazine passion), Courrier international (pour une couverture sur la résonance mondiale du procès Pélicot), Voyage au pays du calme (magazine jeunesse) et le Papotin (coup de cœur du jury). Enfin le numérique n’est pas absent du palmarès avec un prix du format digital décerné au Monde des ados, pour sa plateforme interactive pensée pour les jeunes, en dehors des réseaux sociaux.
Didier Falcand